Par l’Assemblée des Femmes de la Coordination des Migrants, Bologna – Italie
La guerre en Ukraine est une guerre patriarcale : c’est pourquoi s’opposer à cette guerre est notre priorité. Pendant la grève féministe et trans-féministe appelée par Non Una di Meno le 8 mars en Italie, nous l’avons dit tout haut. En tant que femmes, travailleuses et migrantes, nous choisissons la paix et donc nous choisissons de lutter contre la violence patriarcale et raciste que cette guerre exacerbe. Pour ce faire, nous devons briser les fronts que la guerre tente de nous imposer par la violence et les armes, les politiques gouvernementales et le lexique militaire. Nous refusons de nous rallier à un État ou un autre, à un drapeau national ou un autre, ou à une puissance mondiale ou une autre. Pour nous, être féministe signifie se dresser, sans hésitation et sur tous les fronts, contre ceux qui font la guerre pour imposer la domination, l’oppression et l’exploitation ; cela signifie prendre parti pour ceux qui luttent contre l’oppression, qui choisissent de quitter leur pays pour ne pas souffrir, et qui restent pour défendre ce qu’ils ont.
La guerre en Ukraine est une guerre patriarcale car elle transmet un message clair : il n’est pas possible de s’élever contre l’autorité. C’est le même message que chaque acte de violence masculine transmet aux femmes qui ne se soumettent pas et qui doivent donc être punies. Poutine veut imposer par la guerre son autorité à une population qui ne veut pas l’accepter. Or, nous savons que l’autorité qui s’appuie sur la violence est fragile. Notre position contre la guerre tire sa force de la grève féministe et trans-féministe transnationale qui a contesté la violence patriarcale partout dans le monde. La violence de la guerre patriarcale doit être combattue par notre force collective et transnationale. C’est la politique que des millions de femmes et de personnes LGBTQIA+ ont affirmé le 8 mars.
La guerre en Ukraine est une guerre patriarcale car elle réaffirme par les bombardements les hiérarchies que nous contestons. Les hommes doivent être des soldats et prouver par le combat leur masculinité véritablement patriotique. En revanche, les femmes sont conçues comme des objets faibles et impuissants à protéger. Jusqu’à avant que la guerre n’éclate, l’Union européenne – qui lie les titres de séjour au travail ou à la famille, nous obligeant à accepter de mauvais salaires ou des maris violents – a construit des barrières à ses frontières pour empêcher l’entrée des migrants. Aujourd’hui, elle se présente comme un patriarche démocratique bienveillant qui protège les femmes fuyant la guerre – pour autant qu’elles aient la peau blanche. Nous savons que les femmes ukrainiennes ne sont pas seulement des victimes à protéger; nous savons qu’elles ne sont pas seulement des mères, des épouses et des filles condamnées à préserver l’unité de leur patrie et de leur nation. Nous savons que malgré et au delà de la guerre, les femmes ukrainiennes vivent, travaillent et se battent pour ne pas être opprimées et pour gagner leur autonomie. Nous savons aussi que tous les hommes ne veulent pas être soldats : beaucoup restent en Ukraine en raison de la loi martiale ; avec de nombreuses femmes, d’autres hommes résistent à l’invasion pour défendre leur liberté de choix, tandis que d’autres refusent de faire la guerre et tentent de s’enfuir ; enfin, certains sont empêchés de fuir parce que leurs documents les définissent comme des hommes alors qu’ils ne s’identifient pas comme tels. Pour nous, être féministes et lutter pour la paix signifie rejeter les structures, les rôles et les hiérarchies fondés sur le sexe et la couleur de la peau que la guerre et les politiques racistes des États cherchent à imposer.
La guerre en Ukraine est une guerre patriarcale car sa violence impose la division sexuelle du travail. La majorité des réfugiés arrivant d’Ukraine sont des femmes. Elles auront un titre de séjour temporaire avec lequel elles pourront travailler. Nous savons que le prix de ces titres est l’exploitation dans les ménages en échange de salaires de misère ou dans les services essentiels pour compenser une aide sociale inexistante. Pour gagner ces bribes d’indépendance après avoir tout perdu, les Ukrainiennes n’auront d’autre choix que d’être exploitées. En Italie, les patrons et les propriétaires ont déjà proposé de les faire travailler dans les secteurs, comme le tourisme, où il y a peu de main-d’œuvre, précisément à cause des salaires de misère. Une politique féministe de paix signifie s’organiser et lutter ensemble avec ces femmes pour que l’exploitation ne soit pas le prix à payer pour sauver leur vie et obtenir leur liberté.
La guerre en Ukraine est une guerre patriarcale et transnationale. Elle dépasse les frontières ukrainiennes et arrive dans les foyers européens, où des centaines de milliers de femmes migrantes originaires de ce pays travaillent depuis des années. Leur migration était non seulement un moyen de se construire un avenir, mais aussi de rejeter des pères et des maris autoritaires. Cette possibilité leur est aujourd’hui volée en raison de la guerre. Au lieu d’envoyer des fonds à leurs proches en Ukraine pour qu’ils les utilisent pour l’éducation de leurs enfants et pour économiser un peu d’argent, ces femmes qui travaillent sont obligées d’aider leurs parents et amis qui fuient du côté européen de la frontière, où leurs salaires valent très peu. Beaucoup de ces réfugiés arrivent maintenant en Pologne, en République tchèque et en Moldavie. Ce sont les mêmes pays d’où provient le flux de travailleurs migrants destinés à être employés dans les usines, la logistique et les foyers de toute l’Europe. La guerre mobilisera encore plus ces migrants. Notre politique féministe de paix doit être transnationale et c’est pourquoi nous sommes du côté des travailleurs migrants contre l’exploitation sexiste et raciste intensifiée par la guerre.
Les féministes russes ont pris la parole instantanément contre cette guerre patriarcale. Leur voix a traversé les fronts nationalistes et les politiques étatiques. La violence de la police russe s’est déchaînée contre ces femmes – le viol est utilisé comme une arme ou une menace pour les faire taire. C’est pourquoi leur voix doit résonner dans chaque lutte féministe et trans-féministe. La guerre nous touche directement, même si nous ne sommes pas sous les bombes. La guerre est en train de tout changer, elle essaie de reprendre toutes les réalisations et les demandes faites ces dernières années par les mouvements transnationaux des femmes et des personnes LGBTQIA+.
La guerre dicte violemment les règles autoritaires et patriarcales de la reconstruction post-pandémique. Il est plus important que jamais de transformer chaque espace féministe et trans-féministe en un lieu de discussion et d’intervention collective contre la guerre, chaque initiative féministe en un projet d’organisation capable de traverser les frontières et de reconnaître un ennemi autre que ceux imposés par les fronts nationaux et géopolitiques de la guerre. La guerre patriarcale et ses auteurs sont nos ennemis, quel que soit leur drapeau. Être du côté des femmes, des travailleurs, des migrants, de ceux qui luttent pour ne pas mourir et pour arracher leur avenir à l’emprise de la guerre : voilà notre politique féministe transnationale de paix.